Audition de Monique Hérold et Alain Weber (LDH) et de Pierre Suesser (DELIS) par la mission d’information du Sénat

mercredi 6 avril 2005, par DELIS, LDH
Intervention de membres du collectif
Compte-rendu d’Alain Weber

La Commission des Lois du Sénat a mis en place une mission d’information sur la nouvelle génération de documents d’identité et la fraude documentaire (voir le rapport rendu en rubrique Documents). Dans ce cadre, Monique Hérold (ancienne vice-présidente de la LDH) et Alain Weber (Commission Libertés et informatique de la LDH), ainsi que Pierre Suesser (DELIS) ont présenté le 6 avril 2005 les positions de la LDH et de DELIS.

L’audition, qui a duré 1h15, a commencé à 16h15 et a consisté en la présentation de la position de la LDH puis dans les réponses aux questions posées par les membres de la Commission.

Présentation

La LDH-DELIS ont indiqué aux membres de la Mission leur intervention dans le domaine de l’informatique, tant en ce qui concerne les questions relatives aux interconnexions de fichiers que les questions relatives aux fichiers de police et le fait qu’elles s’intéressaient à la carte INES, ainsi qu’à l’administration électronique.

Sur le sujet lui-même

La LDH-DELIS ont rappelé qu’il s’agissait de données personnelles dont le statut protecteur avait été édicté par la directive de 1995, et confirmé par la loi Informatique et Libertés modifiée en 2004.

La LDH-DELIS ont rappelé leur souci que, quels que soient les problèmes relatifs à la sécurité des documents, toute action ne pouvait s’inscrire que dans le respect des grands principes que la France avait donnés à l’univers en ce qui concerne le traitement des données nominatives et notamment le principe de la détermination d’une finalité précise et le principe de proportionnalité.

En l’espèce la LDH-DELIS ont dit qu’elles comprenaient que la finalité qui était présentée consistait à vérifier que toute personne revendiquant telle identité était bien la personne concernée.

Il s’agit donc d’une question d’authentification, qu’il convient de distinguer de la question d’identification.

Dès lors que la finalité est l’authentification, les modalités techniques au service de cette finalité doivent respecter les principes ci-avant édictés.

En l’espèce, la LDH-DELIS ne voient pas ce qu’apporte l’intégration de données biométriques dans les titres, concernant la finalité affichée d’authentification de titres : la LDH-DELIS préconisent que la photographie qui figure en clair sur le titre soit prise au moyen d’un élément numérique, pour intégration dans un titre de circulation avec destruction immédiate du fichier de la photo dont s’agit.

Lors de la création du titre, un fichier attestant que le titre a été délivré par une autorité compétente est créé.

C’est ce seul fichier qui permet de vérifier que le titre est authentique, sans lien quelconque avec la photo, qui demeure sur le titre.

Dès lors, le souci d’authentification du document pour éviter la fraude documentaire est écarté puisque la personne concernée peut, en présentant son titre, permettre à un vérificateur de s’assurer qu’elle est bien la personne figurant sur la photo numérisée dès l’origine pour sa fixation sur le support, le titre lui-même apportant la preuve de son authenticité par ce fichier annexe.

La LDH-DELIS indiquent ainsi qu’elles ne voient pas en quoi la création d’un fichier comportant des données biométriques qui serait supporté sur le document répond à la préoccupation d’authentification du document.

Par ailleurs, la LDH-DELIS s’interrogent sur la dualité des éléments biométriques : photo faciale et empreintes digitales.

La crainte clairement exprimée est que ces éléments soient utilisés non plus afin d’authentification du titre, mais afin d’identification, c’est-à-dire non plus dans une relation de 1 à 1 (le porteur vis-à-vis du titre qu’il montre aux autorités) mais 1 à N (c’est-à-dire le porteur vis-à-vis d’une population figurant dans un fichier).

La LDH-DELIS confirment donc leur formelle opposition à la création d’un quelconque fichier.

Plus avant encore et sur interrogation d’un membre de la Mission, il est précisé que la LDH-DELIS s’opposent à la constitution de données numériques y compris sur le seul support documentaire, car c’est un appel à la création d’un fichier, même si, au démarrage, cette volonté n’est pas clairement indiquée, voire serait explicitement écartée.

Le Président de la Mission demande à la LDH-DELIS de se prononcer sur la question de savoir s’il n’est cependant pas nécessaire de créer un fichier ne serait-ce pour identifier les personnes titulaires d’un passeport, ce qui peut faciliter la gestion de la création à nouveau de ce titre en cas de perte.

La LDH-DELIS attirent l’attention du Président de la Mission sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un fichier à proprement parler mais d’un registre des archives n’indiquant que la seule information relative à la délivrance d’un document à une date déterminée.

Ce registre ne devrait pouvoir être utilisé qu’à la demande de l’intéressé ayant égaré son titre, et pour justifier qu’un titre lui a déjà été accordé. Aucune connexion quelconque ne devrait pouvoir être faite entre les titres existants et ce fichier.

La Mission attire l’attention de la LDH-DELIS sur le fait qu’une expérimentation est en cours concernant les visas biométriques.

LDH-DELIS répondent que cette expérimentation est attentivement observée par leurs soins et que la délibération de la CNIL révèle bien les précautions extrêmes et le caractère expérimental du projet.

En tout état de cause, LDH-DELIS insistent sur le fait que les personnes concernées se voyant prélever les empreintes digitales et des données biométriques sur leurs photos faciales afin de pouvoir justifier de l’application du visa à leur encontre, n’est pas un exemple pertinent. En effet, autant il sera incontestable que l’empreinte digitale et le visage d’une personne correspondent bien à la personne qui se sera vu accorder le visa, autant les documents attestant de l’identité de cette personne ne répondront pas au principe de sécurité puisque, si la personne en question se présente avec une fausse identité, les éléments biométriques seront impuissants à détecter la fraude.

***

Enfin, si le projet aboutissait cependant à ce que des éléments biométriques soient intégrés dans le document de transport notamment, il a été demandé à LDH-DELIS leur position.

Il a clairement été souligné que dans ces circonstances, le souhait de la LDH-DELIS serait que les éléments dont on parle ne puissent être lus que par des machines mobiles sans connexion à aucune base quelconque et à la seule finalité de s’assurer que l’empreinte digitale présentée par l’intéressé correspond bien à celle figurant dans le document le concernant.

Cette réunion a été l’occasion également pour la LDH-DELIS de rappeler à la Mission que toute législation portant atteinte aux droits des citoyens par le fichage des populations, porte également atteinte à la démocratie et que, dans un environnement sécuritaire, ce type de législation ne pouvait que conforter les terroristes dans leur certitude d’avoir porté atteinte aux principes qui gouvernent toute démocratie.

***

NB. Il convient de rappeler que le règlement du Conseil du 13 décembre 2004 prévoit à l’article 1er.2 « Les passeports et les documents de voyage comportent un support de stockage qui contient une photo faciale. Les Etats membres ajoutent des empreintes digitales enregistrées dans des formats interopérables. Les données sont sécurisées et le support de stockage est doté d’une capacité suffisante afin de garantir l’intégrité, l’authenticité et la confidentialité des données ».

Dès le début de l’audition, la LDH-DELIS ont attiré l’attention de la Mission sur le fait que ce règlement (2252/2004 du Conseil) était une extension des accords de Schengen, et n’avait donc pas statut de document communautaire et qu’ainsi le Danemark (Considérant 10), le Royaume-Uni (Considérant 11), l’Irlande (Considérant 12) n’étaient pas liés par l’application de ce règlement ; qu’en conséquence, sa valeur juridique était sujette à discussion et qu’il ne s’agissait donc pas d’un texte sur lequel une législation nationale pouvait être construite.

Sur la question de savoir si la carte d’identité devait demeurer facultative et gratuite nous avons répondu par l’affirmative.